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Je N'ai Même Pas Eu Le Temps de Pleurer
Je n'ai même pas eu le temps d'en parler … Il y a quelques temps de cela, celui que je considérais comme mon deuxième grand-père, Victor Lanoux, est décédé.
Ma grand-mère et mon père m'ont appelée le matin même de l’événement, pour m'avertir, car tout les deux savent que je l'aimais beaucoup. Je me venais de me réveiller, je n'ai pas réalisé immédiatement.
A dire vrai je n'ai jamais rencontré cette homme de ma vie, et je ne le connais qu'à travers bien peu de rôles autres que Louis la Brocante. J'ai tellement vu ces épisodes, tous, je ne sais combien de fois, à tel point que je connais les dialogues par cœur non pas d'un ou deux épisodes, mais d'une bonne quinzaine au moins.
Depuis toute petite j'ai navigué chez mes grands-parents, entre Louis la Brocante et Joséphine Ange Gardien … Avec pour ma part une préférence pour le brocanteur. Mes grands-parents me surnomment d'ailleurs 'Mélo la Bricole' car j'adore bricoler, et mon petit surnom en référence à Louis la Brocante, on en rit souvent.
J'ai lu deux fois l'émouvant livre qu'il a écrit ''Laissez Flotter Les Rubans'', sur sa maladie, sa paralysie. Un livre vrai, aux mots parfois maladroits -comme les miens-, et pourtant combien poignant et profond.
J'ai compris il y a plusieurs années de cela que pour moi, clairement, il incarnait la figure d'un deuxième grand-père. Différent du mien, avec d'autres qualités et d'autres défauts. Je n'aurais pas forcément voulu l'avoir à la place de celui que j'ai déjà, j'aimais avoir les deux. J'aimais les leçons de vie qu'il inculquait au travers des épisodes. Ses manières retors mais attentionnées auprès de son ex-femme, de la mère supérieure, de sa fille. Cet univers, cette représentation la plus simple d'une possible vie de tout les jours, avec un anti-héros au possible : âgé, moustache et bidou fournis ; faussaire fabriquant de ''vrais-faux''.
La nouvelle est tombée quand j'étais en plein période d'examens, pour valider ma troisième année de licence d'art. J'ai été touchée au cœur. Puis je n'ai pas réalisé. J'ai remercié ma grand-mère de sa prévenance. Je me suis levée pour faire ma toilette, et pour réfléchir à quoi cuisiner le plus rapidement possible pour travailler. Enfin cuisiner et être remplie jusqu'au lendemain, car non je n'avais pas le temps de manger deux repas par jour, vu ma charge de travail c'était trop de temps perdu. Et là, absence devant la cuisinière, je n'arrivais même plus à me rappeler pour quoi. Je finis par m'activer machinalement, mécaniquement, pour préparer je ne sais même plus quoi. Je me pose devant l'ordi. Regarder un épisode de Louis la Brocante en hommage ? Pour m'imprégner encore plus de ces souvenirs, pour redécouvrir les traits de son visage, chacune de ses ridules ? Non mon cœur se serre : il est encore trop tôt. Coup de fil de mon père, qui me ré-apprend la nouvelle, avec beaucoup moins de délicatesse.
Et après je n'ai même plus le temps d'y penser. La journée s'enchaîne : dessin, révisions, dessin, révisions. J'aimerais vous dire que j'y ai de nouveau une pensée, le soir, dans mon lit ; mais … non.
Plus jours s'enchaînent ainsi. Deux semaines en réalité, jusqu'à la fin des examens. Et 2-3 jours après la dernière journée de panique à courir partout : le néant, le vide. Je suis allongée sur mon lit, je me sens bien, je respire calmement car je sens que la chaleur commence à monter : l'été arrive à grands pas.
Et là d'un seul, mes yeux s'écarquillent, une pensée me traverse l'esprit tel un éclair, une évidence : Victor Lanoux est mort. En moins de trois secondes je suis passée successivement de l'apaisement, à la panique puis enfin à la douleur. Mon corps se tord et se recroqueville sur lui-même car je commence à souffrir, à l'image de mon cœur qui se serre. Un bref instant je me demande pourquoi lorsque l'on souffre on se ratatine sur soi-même comme cela. Et puis je m'en fous. Il est mort, je ne le verrais plus, et c'est tout ce qui importe. Je ne verrais plus de nouveaux épisodes de Louis la Brocante, dont il était prévu qu'il reprenne le tournage sous le regard vigilant de sa femme. Je n'aurais plus l'occasion d'entendre son rire, de le voir invité à une émission ou de lire ses mots. Juste de les relire, ceux qui existent déjà, ce qui est déjà gravé à jamais.
Et je me suis rendue que pendant deux semaines je n'avais pas eu la moindre petite pensée pour lui. La vie, la faculté, ne m'en a plus laissé le temps. Il est mort et ses funérailles ont eu lieu sans même que j'y pense, sans même que je m'en tienne informée. Je sens une rage monter en moins, je saisis mon téléphone, et en larmes de tristesse envers moi-même, envers cette société, entre larmes de deuil et de colère, j'écris un long message à ma meilleure amie. Je lui relate ce dont je viens de me rendre compte.
« Mais tu te rends compte ? La société est telle que maintenant nous n'avons même plus le temps de pleurer nos morts ! Où sont passées les jours de condoléances ? Les recueillements de nos campagnes ? Ô j'enrage, si tu savais comme j'enrage … Pleurer nos morts est inutile, il faut aller au boulot, pas le temps pour ces choses futiles c'est ça !? Dis-moi, à partir de quand le monde a t-il commencé à tant changer … ? »
J'avais besoin d'écrire ces quelques mots pour faire mon deuil. Pour lui rendre un hommage, avec mes petits moyens mais mon amour sincère.
Victor Lanoux, pour moi tu as toujours incarné l'image d'un grand-père et tu m'as beaucoup influencée, ton courage, ton talent, ton sourire, ta voix qui pouvait gueuler quand la situation l'exigeait … Tu m'a influencée et cela continuera, tu continueras de vivre très longtemps encore dans mes souvenirs et mon cœur. Alors merci d'avoir existé, merci pour tout.
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